Analyser la situation initiale : les jeux d’acteurs, le projet et le contexte institutionnel
La compréhension de la situation globale dans laquelle s’insèrent les acteurs est indispensable pour appréhender de façon cohérente la construction et le suivi du projet. Trois niveaux interconnectés sont à prendre en compte : les acteurs, le projet de coopération et le contexte politique et institutionnel.
Les acteurs
Il est indispensable que l’animateur approfondisse sa connaissance de l’environnement, de l’historique des coopérations et des concurrences sur le territoire concerné. En connaissant les jeux d’acteurs, l’animateur pourra aller au-delà des leaders institués, repérer les personnes « passerelles » entre différents groupes d’acteurs. Cela facilitera la constitution des instances de pilotage et opérationnelles.
> Outil : l’analyse de réseaux
> Outil : Réaliser un diagnostic de territoire
> Outil : comprendre la trajectoire d’une expérience
Illustration : Itinéraire d’un atelier de découpe
En Loire-Atlantique, du fait de la disparition des abattoirs de proximité, les bouchers abatteurs ont progressivement disparu, ce qui a créé un vide dans les débouchés des producteurs. Pour gagner en autonomie et aller sur de nouveaux débouchés, les éleveurs de la région de Nozay ont mis en place en CUMA un atelier de découpe de viande multi espèces. A l’époque, les bouchers et charcutiers n’ont pas été associés à cette opération et ont vécu cela comme une concurrence inacceptable. Cela rend aujourd’hui le travail de coopération difficile, malgré des bonnes volontés de chaque côté.
Le projet de coopération
Si le projet n’émane pas directement des personnes qui y seront impliquées, mais qu’il est pressenti en amont (impulsé par une collectivité par exemple), il est indispensable de bien définir sa nature, ses origines, les changements qu’il implique… En se basant si possible sur des exemples similaires. Plus tôt les acteurs concernés sont impliqués dans la construction du projet, plus il aura de possibilités de durer dans le temps.
Le contexte politique et institutionnel
L’existence de politiques – nationales et surtout locales – favorisant le projet peuvent faciliter l’engagement de chacun, à condition que les acteurs qui, à terme, rendront le dispositif opérationnel, soient partie intégrante du processus.
Illustration : Démarche de circuit court pour valoriser une viande de Porc et d’Agneau locale
Cette expérience montre comment une collectivité peut être à l’origine de la formalisation ou de l’arrêt d’un partenariat entre producteurs et artisans et comment les acteurs locaux peuvent s’emparer eux-mêmes de cette démarche partenariale.
Constitution des instances
Selon le dimensionnement du projet, on pourra distinguer :
- des instances stratégiques,
- des instances opérationnelles.
Chacune ayant ses objectifs. L’animateur veillera à garder de la souplesse pour favoriser les rencontres. Plus on est dans une situation conflictuelle, plus il faut assouplir les modalités de discussion pour éviter les blocages : ne pas vouloir réunir les différents protagonistes à tout prix, construire la coordination progressivement, en réunissant d’abord les acteurs ayant des pratiques et points de vue proches.
Pour aller plus loin
Candau Jacqueline, Ruault Claire. « Discussion pratique et discussion stratégique au nom de l’environnement. Différents modes de concertation pour définir des règles de gestion des marais. » In: Économie rurale. N°270, 2002. pp. 19-35.
Qui impliquer ? A quel niveau ?
L’animateur devra composer les instances afin d’illustrer la diversité de pratiques et de relations autour du thème. Il devra s’assurer que les participants ont eux-mêmes le sentiment que la diversité des positions est bien présente au sein du groupe ainsi formé.
Exemple : Focus sur la viande en Boischaut Sud
Le cas « Dynamiser le marché d’une cité balnéaire à travers la promotion des produits locaux » met en évidence un manque dans cette première étape (pas de partage du diagnostic, manques dans l’identification des acteurs à impliquer) ce qui impacte de façon négative l’ensemble du dispositif mis en place.
Des stratégies de contournement : sortir des groupes classiques
Il est fréquent que des situations soient bloquées par des positions de principe de certains leaders. Pour y faire face, on peut associer directement des personnes intéressées au plus près par le projet et susceptibles d’être plus réceptives aux bénéfices à retirer.
C’est en s’appuyant sur :
- l’analyse préalable des réseaux d’acteurs
- sa connaissance concrète du terrain
que l’animateur décèlera des personnes reconnues importantes localement, soit parce qu’au centre des relations, soit comme intermédiaires entre des groupes peu connectés.
Ces acteurs relais devront être repérés en fonction de leur position dans le réseau et de leurs compétences d’intermédiation. En ce sens, ils contribuent à rendre le dispositif intelligible, légitime et pertinent pour les leaders institués.
Attention :
Il faut tout de même que le dispositif se crée une légitimité.
La stratégie de contournement ne doit pas entrainer une déconsidération du projet. Il faut garder cet équilibre entre des avancées opérationnelles et des validations collectives à un niveau plus institutionnel. On peut « contourner » dans un premier temps, pour prouver que c’est possible, puis revenir au niveau « institutionnel » pour que le dispositif soit reconnu et légitimé.
De la même façon, il faut analyser finement si les porteurs, les moteurs du projet, ne sont pas les seuls convaincus, afin de s’assurer que la « base » suive aussi.
Créer des lieux pour favoriser l’interconnaissance des acteurs
Les expériences vécues et analysées montrent qu’en raison des différences de culture et d’univers de travail entre artisans, commerçants et producteurs, prendre le temps de l’interconnaissance est un passage incontournable pour favoriser la réussite des projets. Ce travail implique à la fois les individus et les structures. Il passe par :
- les membres du groupe
- les leaders qui souhaitent s’impliquer
- les animateurs : intérêt de la co-animation.
L’interconnaissance peut être alimentée par des visites de terrain, qui permettront à chaque métier de mieux connaître les contraintes de l’autre. Un angle qui peut être travaillé dès la formation initiale.
Illustration : Mise en place d’un catalogue de producteurs
En Loire-Atlantique, la création d’un annuaire présentant les producteurs prêts à travailler avec les artisans et commerçants en relation directe a permis de porter à connaissance de ces derniers, la possibilité de nouvelles collaborations.
Illustration : Speed-dating producteurs-autres acteurs économiques
En Aveyron, l’organisation de speed-datings entre producteurs, commerçants, restaurateurs par la Chambre d’Agriculture est aussi un des exemples intéressants de nouvelles stratégies d’amorçage de liens entre secteurs d’activité peu connectés.
Illustration : Compte rendu de la réunion autour du futur abattoir de Puceul
Le co-portage de cette dynamique d’abattoir entre des leaders producteurs et artisans, relayée par une collaboration effective entre animateurs partenaires d’Interval(animateurs de la CGAD pour les artisans/commerçants et de Terroirs 44 pour les producteurs) permet de lancer une coopération autour d’un abattoir de proximité, malgré la réticence première de certains acteurs.
Illustration : Cycle de sensibilisation des apprentis aux circuits de proximité
En Loire-Atlantique, à titre expérimental, un premier cycle de sensibilisation des apprentis bouchers aux circuits de proximité a été organisé par Terroirs 44 et la CGAD des Pays de la Loire. Il s’agit d’inclure dans le champ de la formation professionnelle initiale une approche nouvelle dans les stratégies d’approvisionnement adaptées aux attentes de la clientèle.
Illustration : Partenariat entre le pôle pour la biodiversité domestique de la région Centre et le centre de formation des apprentis des métiers de l’Indre
Afin de développer une race locale et d’assurer sa viabilité économique, un travail conjoint a été fait sur l’offre et la demande, passant par un programme pédagogique auprès des professeurs, élèves et maitres bouchers, charcutiers et cuisiniers, afin de présenter les caractéristiques d’une race locale ovine.
Illustration : Démarche de circuits courts pour valoriser une viande de porc et d’agneau locale
Autour de cette marque locale, initiée par des bouchers et des éleveurs, une communication se met en place auprès des consommateurs ce qui implique que les bouchers sont amenés à valoriser le travail des éleveurs. D’où la nécessité d’une bonne interconnaissance pour réussir à retraduire ces spécificités. « Il faut avoir beaucoup de considération pour le métier de l’autre » relève un acteur de cette démarche.
Illustration : Carrefour express, un approvisionnement local
Le commerçant communique auprès de ses clients pour mettre en avant les produits locaux. Il s’agit d’une démarche volontariste d’approvisionnement local pour favoriser le dynamisme du territoire. Le commerçant mentionne également la nécessité de partage des risques entre producteur et commerçant : tout ne doit pas reposer que sur l’un des deux acteurs.
Illustration : Chanvriers en circuit court
Dans cette expérience, la coopération entre acteurs est allées jusqu’à la formation, par un artisan, des producteurs de chanvre sur l’utilisation de leur produit (chanvre pour l’isolation) dans les techniques du bâtiment. La participation conjointe des artisans et producteurs sur des stands lors de salons permettait de valoriser les deux métiers bien spécifiques et de mieux promouvoir leurs produits.
Illustration :Ici.C.Local : une marque pour favoriser de nouvelles coopérations entre producteurs, revendeurs et artisans locaux
La marque mise en place permet de valoriser les commerçants de détail en circuits courts, avec un système d’étiquetage des produits transformés qui indique de façon transparence si le fabriquant est présent sur le marché, de la région ou aux origines plus lointaines. Cela met en évidence les coopérations entre acteurs économiques locaux et favorise ainsi la reconnaissance du travail des commerçants.
Motiver les acteurs : veiller à l’expression de chaque personne
Préparer les réunions par des entretiens individuels
Ils visent à mieux cerner les intérêts, les besoins, les attentes de chacun avant la rencontre multipartenariale.
Les compétences de l’animateur en reformulation et dans la qualité de ses synthèses et comptes rendus seront indispensables.
Faire intervenir plusieurs animateurs issus des différents groupes d’acteurs présents
Leur présence favorisera cette expression et compréhension des besoins de chacun. En effet, chaque métier possède son propre langage, les animateurs pourront assurer ce rôle de « traduction » et détecter des freins spécifiques qu’un animateur issu d’un autre secteur d’activité aura du mal à formuler.
Illustration : Rencontre clic des champs et paniers de presqu’ile
Cette description opérationnelle d’une rencontre entre deux initiatives similaires sur deux territoires différents montre que cela permet d’échanger sur des points opérationnels, des difficultés et ainsi apporter des éléments de solution. Ces échanges ont notamment portés sur le % de commission, la logistique, les partenariats avec les artisans, la charte / le sentiment d’appartenance…
Cette expérience montre comment, à plusieurs étapes du développement de la structuration de ce partenariat, l’échange d’expérience avec d’autres initiatives permet d’apporter des idées opérationnelles au groupe et ainsi de motiver la prise de décision.
Illustration : Rencontre autour du futur abattoir de Puceul
Dans cette expérience, la mobilisation des acteurs et notamment des artisans bouchers va passer par une phase de communication sur des expériences positives similaires à leur situation.